J. Witte Jr. u.a.: Sex, marriage and family in John Calvin’s Geneva

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Titel
Sex, marriage and family in John Calvin’s Geneva. Courtship, engagement and marriage


Autor(en)
Witte Jr., John; Robert M. Kingdon
Erschienen
Cambridge 2005: William B. Eerdmans Publishing
Anzahl Seiten
512 p.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Christian Grosse, Departement d'histoire générale, unité d'histoire moderne, Université de Genève

Ce fort volume n’est que le premier volet d’un vaste triptyque. Ses auteurs ont pour projet d’étudier l’ensemble des normes, coutumes, procédures, rites et liturgies qui forment le système de reproduction familiale en vigueur à Genève à l’époque du ministère de Jean Calvin (1541–1564). Ce système est découpé en trois grandes parties correspondant chacune à une étape différente du cycle de la reproduction et couverte chacune par un volume. La première se situe entre les contacts préliminaires noués en vue d’un mariage et la célébration nuptiale, la seconde concerne la vie familiale proprement dite et l’éducation des enfants, la troisième, les facteurs de dissolution du lien matrimonial, des dissensions à l’adultère en passant par la disparition de l’un des conjoints. Réunissant des compétences en matière juridique et théologique (John Witte) et une connaissance approfondie de l’histoire et des sources genevoises (Robert M. Kingdon), les auteurs ont construit leur ouvrage en articulant étroitement d’une part, histoire des idées et histoire des institutions et des pratiques et, d’autre part, interprétation et documents originaux. Conformément à ce principe méthodologique, chaque chapitre est formé d’une introduction historique et théorique suivie de la traduction anglaise d’un large éventail de sources: une grande partie de ces sources est le produit de la plume de Calvin (lettres, conseils pastoraux, commentaires bibliques, sermons, traités théologiques ou juridiques), dans une moindre mesure de Théodore de Bèze; d’autres sont tirées des procès-verbaux du Consistoire, la cour ecclésiastique instituée au retour de Calvin à Genève en 1541. Le livre constitue dès lors à la fois un ouvrage de synthèse au sujet de la théologie calvinienne du mariage et de la famille et du droit matrimonial réformé tel qu’il se met en place à Genève durant cette période, un recueil très riche de sources et une monographie fondée sur l’analyse minutieuse de la mise en application de ce droit matrimonial par les institutions nées de la Réforme, Consistoire en particulier. Après des chapitres d’introduction consacrés au cadre théologique et institutionnel, les auteurs examinent successivement les différentes phases de la formation et de l’officialisation du lien matri monial: premières fréquentations, négociations familiales, formalisation des promesses de mariage, empêchements qui suspendent la procédure ou la rendent contestable, règles juridiques et coutumières s’appliquant à la transmission et à l’administration des biens entre époux, intervalle «périlleux» de six semaines entre promesse et célébration du mariage, enfin, publication des bans, bénédiction nuptiale et célébration sociale du mariage.

Ce parcours permet aux auteurs de démontrer en particulier la centralité de la doctrine du consentement mutuel librement échangé entre les partenaires comme fondement du lien matrimonial, à la fois dans la théologie calvinienne, dans les normes juridiques adoptées durant cette période et dans la pratique consistoriale. L’échange des promesses, dans des conditions où il est établi qu’il découle de la libre volonté des partenaires, crée selon Calvin le lien matrimonial et lie ces volontés de telle sorte que le retour en arrière devient impossible – sauf empêchement valable. La Réforme genevoise procède ainsi à une forte valorisation – presque une sacralisation – du consentement mutuel. Cette doctrine entre cependant en tension avec d’autres impératifs dont elle doit tenir compte. Le rôle central reconnu au consentement mutuel des futurs époux risque ainsi de mettre en péril le contrôle familial sur la conclusion des alliances matrimoniales, en marginalisant le consentement parental. Signe de cette tension, les positions de Calvin sur le sujet varient avec le temps et les dispositions légales ne résolvent pas toutes les difficultés que crée cette doctrine. L’importance accordée à l’échange des promesses de mariage amène également un certain nombre de futurs époux à considérer que leur union est réalisée et à consommer le mariage avant sa bénédiction ecclésiastique: le cadre idéologique constitue ainsi un contexte favorisant paradoxalement le péché de «fornication». Cette doctrine constitue encore une source importante de conflit, puisqu’elle conduit le Consistoire à contraindre ceux qui ont échangé une promesse de mariage à conclure le mariage, y compris lorsque de graves désaccords apparaissent entre eux, en particulier au sujet des droits de propriété sur les biens familiaux…

Grâce à l’examen détaillé des sources bibliques, théologiques, juridiques et institutionnelles, les auteurs parviennent également à analyser finement l’évolution du rapport entre le droit de la famille réformé en voie de formation et le droit canonique. L’ouvrage s’émancipe ainsi, comme l’observe Don S. Browning dans sa préface, du récit que l’on rencontre trop souvent dans les ouvrages sur les Réformes protestantes, où tout semble naître de l’impulsion initiatrice de Luther et où domine l’idée de rupture. Ici au contraire, les auteurs mettent à distance la prétention réformée de rupture brutale avec le droit canonique médiéval en identifiant non seulement les points sur lesquels le droit réformé s’éloigne effectivement de l’ancien cadre juridique, mais également les éléments de continuité avec la tradition. C’est dès lors moins une image de rupture qui ressort de l’ouvrage que celle d’un processus complexe de réinterprétation d’un héritage historique à la lumière d’un nouveau point de vue théologique. Dans ce sens, l’ouvrage aurait sans doute pu restituer une image plus dense encore en tenant davantage compte, d’une part, du corpus des coutumes régionales, désormais précisément analysées, notamment sur la question matrimoniale, par Jean-François Poudret, et, d’autre part, de l’influence des normes juridiques et théologiques adoptées par les villes réformées de Zurich et surtout de Berne. On sait par exemple que l’intervention des magistrats dans les questions matrimoniales, que les auteurs voient comme une innovation importante de la Réforme, a localement des précédents qui ont été observés par Poudret. On sait aussi que dans la période d’absence de Calvin, entre 1538 et 1541, ces mêmes magistrats ont continué à intervenir dans les contentieux matrimoniaux en se fondant sur les pratiques de leurs homologues bernois. La liturgie matrimoniale de Calvin, reprise pour l’essentiel de celle de Guillaume Farel, maintient cette influence. Une telle approche, et une analyse plus large des décisions prises par le gouvernement genevois et donc des sources civiles, aurait probablement permis de nuancer la figure du Calvin démiurge que dessine l’ouvrage, en mettant en évidence les processus de négociation qui ont eu lieu entre ses exigences théologiques, sa culture juridique et les traditions locales, marquées à la fois par le droit coutumier et l’influence bernoise. Il n’en demeure pas moins que ce livre constitue aujourd’hui la meilleure synthèse sur ces questions et la meilleure entrée en matière pour tous les chercheurs s’intéressant à ce sujet. A ce titre, il mériterait sans doute une traduction, rendue d’autant plus facile à réaliser qu’une partie substantielle du corpus de source qu’il contient a été rédigé en français.

Citation:
Christian Grosse: Compte rendu de: John Witte Jr., Robert M. Kingdon: Sex, marriage and family in John Calvin’s Geneva, vol. 1: Courtship, engagement and marriage. Grand Rapids / Cambridge, William B. Eerdmans Publishing Company, 2005. Première publication dans: Revue suisse d’histoire, Vol. 57 Nr. 2, 2007, pages 208-210.

Redaktion
Veröffentlicht am
10.02.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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